Auteur: Justine Du Chazaud
Dans son arrêt Barbulescu c. Roumanie en date du 12/01/2016, la CEDH a jugé que la surveillance d’un compte de messagerie instantanée d’un salarié par son employeur ne constituait pas une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance.
Les faits
En l’espèce, le requérant, employé de 2004 à 2007 dans une entreprise privée en qualité d’ingénieur des ventes, utilisait pour les besoins de son travail un compte Yahoo messanger afin de pouvoir répondre aux clients de l’entreprise. En juillet 2007, le demandeur est informé que ses communications via Yahoo messanger avaient été surveillées par l’entreprise et que celles-ci montraient clairement qu’il avait utilisé la messagerie à des fins personnelles, et non strictement professionnelles tel que préconisé par la Charte de l’entreprise.
L’entreprise présente alors un relevé des communications de son ancien salarié, où il est clairement établi que ce dernier a utilisé l’adresse de messagerie à des fins personnelles, afin de justifier son licenciement.
La procédure
Le tribunal de première instance roumain a rejeté la plainte du requérant au motif que l’employeur s’était conformé à la procédure de licenciement qui est prévue par le Code du travail roumain, et que ce dernier avait été informé du règlement interne de la société.
Le 17 juin 2008, la Cour d’appel déboute le demandeur en jugeant que la conduite de l’employeur avait été raisonnable et que la surveillance des communications du requérant était le seul moyen de définir si oui ou non une infraction aux règles internes de la société avait été commise.
Arguments du requérant
Le requérant soutient qu’il y a eu violation du droit à la correspondance dans la mesure où ses communications privées ont été consultées, et que ce courrier était protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit au respect de la vie privée
Question de droit
La surveillance par une entreprise de courriels privés envoyés à partir d’une adresse de messagerie professionnelle est-elle contraire à l’article 8 de la Conv. ESDH relatif au droit au respect de la vie privée ?
Décision de la Cour
Tout d’abord, la Cour reconnait que le fait que l’entreprise ait accédé au compte internet professionnel du requérant afin de relever ses communications suffit à mettre en jeu la « vie privée » et la « correspondance » du requérant et estime donc que l’article 8 de la Convention est applicable.
Toutefois, la Cour ne trouve pas « abusif » qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail.
D’autre part, l’entreprise a accédé au compte de son employé en pensant qu’il contenait uniquement des communications professionnelles, c’est à dire des communications avec les clients de l’entreprise.
En d’autres termes, la Cour admet la légitimité de l’intrusion de l’entreprise sur la vie privée de son employé dans la mesure où le droit au respect de la vie privée n’est pas un droit absolu et que celui-ci coexiste avec les droits de l’employeur à vérifier que ses employés exécutent correctement les tâches professionnelles qui leur sont confiées.
Commentaires
La Cour européenne semble ici avoir trouvé un juste équilibre entre d’une part le droit du salarié au respect de sa vie privée et de sa correspondance au regard de l’article 8 de la Convention, et d’autre part, les intérêts de l’employeur, à savoir le respect des conditions de travail et de la Charte interne de l’entreprise interdisant l’utilisation des outils professionnels mis à la disposition des employés à des fins privées.
En accédant à la messagerie professionnelle de son employé, l’entreprise pensait légitimement que celle-ci ne contenait que des messages professionnels, et non à caractère privé. L’employeur a donc agi dans le cadre normal de ses prérogatives hiérarchiques.
Il est encore tôt pour savoir s’il s’agit d’un arrêt de principe ou limité au cas d’espèce.
En faveur d’une portée limitée au cas d’espèce, nous pouvons relever la spécificité des faits : une interdiction de l’utilisation de l’Internet par une entreprise à l’ensemble de ses employés, et un employé qui conteste avoir outrepassé cette interdiction.
En faveur d’un arrêt de principe, nous pouvons soulever la position assez stricte de la Cour sur le fait qu’il est normal pour un employeur de vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail.